« Luna, elle est belle comme la Lune. Elle est douce comme la soie, brillante comme une étoile. Elle est resplendissante dans une robe, rebelle dans un pantalon, convaincante dans un tailleur. Elle est si parfaitement blanche de peau et rose aux jointures de son corps. Elle est si « porcelaine », si « poupée ». Luna, elle est de celles dont on ne peut pas clairement dire à quoi elle ressemble, si ce n'est à un songe d'une nuit d'été, à une enfant trop vite devenue grande. »

Si vous voulez tout savoir, alors vous saurez tout. Elle se déshabillera sans pudeur devant vous, avec son sourire malicieux sur ses fines lèvres roses. Elle se tiendra debout, ses longues jambes ancrées dans le sol, les mains sur ses hanches délicates, ses tétons dressés sur ses magnifiques seins ronds. Luna, elle restera là, elle vous fixera de son regard glacial, bleu lagon et tellement attirant, caché derrière une frange grise ou derrière ses cheveux mal coiffés.
La belle si rebelle détournera peut-être le visage au bout d'un moment, vers la droite ou la gauche, dressant ses épaules étroites qu'elle touchera de son menton légèrement rond. Une plaque rouge sous ses yeux où battront ses longs cils noirs. La mine sans doute boudeuse, son visage de poupon dressé fièrement, telle un loup d'un mètre soixante-treize. Sur la pointe des pieds, telle une danseuse étoile, droite et honorable.

Et Luna, vous la regarderez, sans vous lasser. Du bout de ses orteils si tendres, à ses talons qu'elle ne pose que rarement au sol. Ses chevilles qui se prolongent en deux jambes resplendissantes, et ces cuisses aux formes arrondies. Vos yeux glisseront, sans aucun doute, sur ses fesses rebondies, sur la courbe délicate de ses hanches, suivront le mouvement de cette ondulation qu'est sa colonne vertébrale. Ils s'attarderont sur ses omoplates si fines, sur sa nuque si raide et droite où souhaiterait se poser la paume de votre main pour approfondir un baiser langoureux et qui se fondra dans ses cheveux si gris, si noirs, si bleus électrique, aux couleurs si éclectiques
Oh vous ne la quitterez plus des yeux, le jour où elle se mettra nue, déterminée comme une lionne, fragile comme une colombe.

Et si vous voulez savoir où se trouve son cristal, elle vous tournera le dos.

« Elle vous mordra la louve, puis se lovera dans vos bras. Elle se débattra pendant mille ans, animée par la rage de vaincre. Puis elle dira que vous aviez raison et elle tort, avec un grand sourire à ravir les anges. Luna, elle pourrait vous gifler tout en vous disant qu'elle vous aime, comme elle pourrait vous dire qu'elle vous déteste et vous cracher à la gueule. C'est une ombre qui peut se mettre à crier dans une bibliothèque pour un rien, pour le plaisir de déranger, pour rire, pour voir votre réaction. C'est pas qu'elle manque de respect, c'est juste qu'elle aime la provoque, elle aime pas l'ennuie, elle aime pas tout mais elle apprécie beaucoup de choses. »

C'est un animal surexcité que vous aurez face à vous. Comme un enfant, toujours prête à faire la moindre bêtise, vous remontant les bretelles quand vous en faites. Envieuse de tout connaître et rechignant face à la nouveauté. Aimant le changement mais pas désireuse de changer. Qui peut sauter sur un lit en disant qu'elle ne veut pas dormir, et qui s'endort juste après, la tête plongée sous la couverture.

Elle peut chanter bien sous la douche et meugler pendant une heure pour vous casser les pieds. Luna elle est comme ça, on la changera pas. Un caractère fort qui n'aime pas toujours respecter l'autorité mais, qui le fait des fois quand même. Luna, elle est lunatique, elle est pathétique, elle est bordélique. Luna, elle est pas machiavélique quoique des fois diabolique, un poil chaotique quand elle s'exprime mais toujours tellement angélique.

Elle est née comme ça, le dernier soir de mai. Elle est arrivée sans que personne ne l'attende, sans que personne ne la désire. Elle était là, mais personne le savait. Elle a passé sa bouille entre les cuisses de sa mère, elle leur a hurlé dessus. Elle a été prise dans des bras, nettoyée, regardée, admirée, aimée. Elle a été bercée, nourrie au sein, encore bercée, forcée à faire un rot. Elle a été emmenée dans une maison où rien n'était prêt pour elle. Mais elle était là. Luna, elle est arrivée comme ça, comme une bombe. Comme le plus beau des cadeaux. »

Avec un père dealer et une mère droguée, elle irait pas loin. Il était gentil, il l'aimait à ça oui. Elle était douce, elle a même essayé d'arrêter pour la petite. Puis quand elle s'est chopée le Sida avec une seringue usagée, elle a finit par laisser le père et la gamine. Elle finirait bien par mourir, autant ne pas infliger ça à la gamine. D'ailleurs elle est morte, quelques mois après. D'une overdose, certes, mais elle est morte quand même.
Et le père, il a continué ses petites affaires, avec une môme qu'il aimait à charge. Un peu compliqué, au début. Puis quand on se fait respecter, il devient plus simple d'assurer l'éducation de son gosse. Dans une villa. Puis dans un manoir. Puis dans une prison.

Bon d'accord, dans la prison, c'était moins simple.

Mais la gamine, ça, elle en savait rien. Elle se souvient juste que son père avait une étrange couleur de peau comparée à la sienne. « Un père adoptif Italien, pour une Française, quand même, ça passe pas inaperçu ». Puis, elle aurait aimé savoir pourquoi elle avait trois papas. Enfin elle a grandit dans une famille d'homosexuels, alors elle s'est vite chopé un caractère pour résister à ce que ces cons de fils de bourgeois avaient à dire sur ses parents. Elle a été rodée niveau mode, et elle s'y connaissait en mécanique, parce que papa virile, il aime ça, les motos. Papa féminin, il préfère les souliers à talons, les virées shoppings, les vêtements assortis. Au fond, c'était chouette, d'avoir deux papas. Le troisième, elle le voyait rarement. Les prisons, c'est pas pour les enfants, il paraît.

« Je grandirais vite, alors! ». Elle l'a dit, elle l'a fait. A treize ans, premier vol de voiture. Quatorze, première drogue. Quinze, maison de redressement. Seize, premier véritable jugement. Seize toujours, première fugue. Seize encore, première claque de papa-maman et cris à en déchirer les entrailles de papa-maman quand ils l'ont retrouvée. Dix-sept ans, retour au calme, il était temps. Et dix-huit, on passe aux choses sérieuses.
« Papa, papa, je veux devenir mannequin. Je suis pas maligne, je sais pas faire grand chose, je veux juste marcher droit, gagner de l'argent, et c'est tout ».
Dix-neuf ans, première désillusion. Vint ans, premier contrat. Vingt-et-un an, première crise de diva.
« Je marchais dans la rue, tu vois, ce soir-là. J'avais peut-être un peu trop bu de champagne, je me disais qu'au fond, tout ça, c'étaient des conneries. Que j'aurais dû continuer les études, montrer à papa-papa que je savais faire quelque chose de bien. J'aurais peut-être pas dû prendre cette pilule qu'ils m'avaient donnée contre le stress. Je me suis dit qu'il fallait que j'arrête à tout jamais la drogue, les conneries, tout ça. Que je montre à mes parents que j'étais digne d'eux, et pas de mes junkys de géniteurs. Puis je marchais dans la rue, tu vois, ce soir-là. Et j'ai entendu des pneus qui crissaient, une voiture qui fonçait. J'ai entendu des poubelles se renverser, et j'ai vu la lumière s'éteindre. »