Les petits pas rapides de la renommée Lily résonnait dans la déserte ruelle. Seuls quelques lampes pendaient çà et là sur les murs ternes. L'éclairage était vraiment mauvais, ce qui faisait de cet endroit le lieu idéal pour une embuscade. Pourtant, loin d'être inquiète, la jeune femme avançait fièrement, droite et élégante à la fois. Une longue veste noire la couvrait entièrement et, par sa capuche, dissimulait également son visage. Il était rare pour elle de porter du noir. Encore plus lorsqu'il s'agissait de vêtements aussi sobres.
Cependant il n'était pas question pour elle de se faire remarquer au marché noir. Là-bas, toutes les femmes portaient des vêtements sombres et ce genre de vestes étaient courantes. Chacune voulait dissimuler son identité à l'autre. Ces anonymes se côtoyaient tous les jours, étaient même amies, mais une fois la nuit tombée et l'hostilité du marché noir déployée, toutes étaient sur la défensive. Plus personne ne se connaissait. Plus personne ne s'intéressait à l'autre. Plus personne n'avait d'autre intention que d'obtenir quelque chose au détriment des autres.
Arrivée devant une vulgaire échoppe prête à s'effondrer au premier coup de pied, la brunette s'arrêta. Ses yeux bleus parcoururent lentement l'étalage, cherchant quelque chose de très précis. La tête ainsi baissée, plus personne ne pouvait voir son visage. Relevant les yeux vers la vendeuse -une femme qui arborait une disgracieuse cicatrice sur la joue-, un sourire s'étira sur ses lèvres, découvrant des dents luisantes comme celles d'un prédateur. Hochant la tête d'un air entendu, la vendeuse tourna les talons, fouilla dans un vieux carton et en sortit un bel écrin bleu marine.
«Combien ?» demanda Lily d'une voix sceptique.
«Pas à vendre.» lui répondit la femme avec un sourire mesquin.
«Vous ne me l'auriez pas montré si vous ne comptiez pas me le vendre. Dites votre prix.»
Son interlocutrice eut un sourire carnassier et griffonna une série de chiffres sur un bout de papier qu'elle tendit à Lily. En réponse à cette somme exorbitante, un petit rire cristallin s'échappa de ses fines lèvres. Elle déposa une bourse dans laquelle des pièces s'entrechoquaient et se saisit de l'écrin. Retenant visiblement son souffle, la vendeuse la regarda faire sans oser s'emparer de l'argent. Il fallait se méfier de ce genre de client : suspicieux, ils inspectaient toujours la marchandise et vous coupez un bras si vous tentiez de les rouler.
Ouvrant doucement l'objet, la demoiselle fut surprise de trouver un cristal rayonnant d'un beau jaune, semblable à de l'or. Elle le fit glisser d'une main à une autre, cherchant le moindre défaut, la moindre preuve qu'il s'agissait là d'un faux cristal. La contrefaçon de cristal n'était pas rare et les principales acheteuses étaient les Perséphone, qui cherchaient à tout prix à s'emparer de ces précieuses gemmes. Malheureusement, il s'avérait parfois qu'il s'agissait là de vrais cristaux, arrachés à leur propriétaire de manière plus ou moins douteuse.
Tandis que la vendeuse semblait s'être détendue en voyant l'air confiant qui trônait sur le visage de son acheteuse potentielle, celle-ci lança brutalement le cristal au sol. D'un puissant coup de talon, elle l'écrasa comme s'il s'agissait d'un ennemi. Le petit objet se brisa dans un tintement étrange. Lorsqu'elle retira son pied, il était presque réduit à l'état de poussière. Une imitation de piètre qualité, malgré son apparence sans aucun défaut. Paniquée, la femme fouilla de nouveau dans un carton et en sortit un couteau de chasse.
«Sale timbrée ! Tu sais combien il m'a fallu pour me payer ça ?!» hurla-t-elle, hargneuse.
Sans demander son reste, Lily tourna les talons et se mit à courir. Déjà, toutes les autres vendeuses préparaient leurs armes pour mettre à mal cette imprudente qui ne respectait pas les règles de base du marché noir. A vrai dire, elle n'était pas très inquiète. Ce n'était pas la première fois que cette situation lui arrivait, puisqu'elle venait régulièrement vérifier si elle pouvait trouver de véritables cristaux volés.
Ses assaillantes furent vite semées après quelques minutes de course effrénée. Haletante, sa tête tournait comme à chaque fois qu'elle était soumise à une situation stressante. Au détour d'une ruelle, la jeune femme tenta de reprendre son souffle mais buta violemment contre quelque chose de solide mais à la fois doux. Une femme ?... Retombant lourdement sur ses fesses et ses mains, la brunette leva la tête en direction de l'inconnue qu'elle venait de bousculer, l'air incrédule. Sa capuche était tombée suite au choc et son visage était à présent découvert. Pas très sûre quant à l'attitude à adopter -et si c'était une vendeuse ? Allait-elle la lapider ?-, elle demeura au sol en l'observant.
«Eum... Désolée ?»
Ne me lapide pas, aurait-elle dit.